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LE JOUR DU DAUPHIN
DOLPHIN DAY
«Quelle chance tu as eu de faire cette photo!» me disait une amie... Effectivement. Etre photographe, c’est être au bon endroit, au bon moment (et avec du bon matériel). Mais il existe un paramètre sup- plémentaire, généralement appelé la «chance du photographe» faisant qu’un détail, un événement particulier transforment une bonne photo en une très très bonne photo.
Est-ce véritablement de la chance, ou le fruit d’une longue persévérance ?
J’ai débuté dans la presse au début des années 80, en écrivant des articles sur les dauphins dans le ma- gazine Océans. Je me suis initié à la photographie au Marineland (c’était une autre époque) et suis devenu professionnel. Des dauphins, j’ai eu depuis l’occasion d’en croiser souvent, aussi bien lors de sorties d’observa-
tion avec des anciens de Greenpeace que lors de prises de vues pour les ma- gazines de bateaux. Pourtant, jamais un dauphin n’est venu jouer sous l’étrave d’un yacht durant un shooting. Comme un graal inacessible...
Jusqu’à ce jour du 3
juin 2022, aux Voiles
d’Antibes. Le matin, ciel gris, averses furtives et grosses vagues avaient donné au départ de la régate une allure de rodéo maritime. A l’heure du déjeu- ner, de retour au Village des Voiles, la motivation des chasseurs d’images était tombée, comme le vent. Rentrer chez soi, ou retourner en mer ? J’optais pour la seconde option.
Accompagné par une photographe amateur, nous revoici dans le bateau presse. Le soleil et la brise re- viennent, tandis que nous passons la pointe du cap. J’ai alors une pensée pour mon père, décédé peu de temps avant. Je me souviens de ce film super 8, où dans les années 60, il barre, tout sourire, le bateau à moteur vintage d’un couple d’amis qui font dé-
couvrir la Côte d’Azur à mes parents. Le paysage n’a pas changé. Les couleurs, les parfums, le ryhtme des flots...
Notre pilote me tire alors de mes pensées. Il s’ex- clame «Il y a un dauphin, là !». Je distingue une tache d’écume... A cet instant, nous entrons en baie de Juan, illuminée par un rayon de soleil. Le voilier Orianda est devant nous. Je demande au pilote de se placer à hauteur de l’étrave, à moyenne distance. Je cadre, pas trop large, l’avant du bateau où s’affaire l’équipage. Du coin de l’oeil, je guette l’instant où l’animal va jaillir, le doigt rivé sur le déclencheur. Je murmure «S’il te plaît, papa...» Et soudain, comme par magie, le dauphin bondit sous l’étrave. Deux respirations rapides. Juste assez pour faire 3 clichés. Quelques secondes plus tard, il réapparaît à l’étrave
d’un second voi- lier. Il fait un saut puis se rapproche de notre Zodiac, passe certainement dessous, pour rejail- lir plus loin, dans un dernier saut en vrille.
L’ai-je bien cadré ?, la mise au point, la vitesses sont elles bonnes ?. J’ai fait les réglages d’ins- tinct. Sans rien dire,
je regarde l’écran au dos du boîtier. Ça semble ok... mais c’est sur un véritable écran ce soir que je serai fixé. Je reste prudent avant de crier victoire, tandis que la nouvelle se répand sur les quais.
Oui, tout est juste et parfait. Techniquement et esthétiquement. L’image est d’une poésie excep- tionnelle. Il me revient en mémoire les propos de Jacques Mayol à la fin du film Le Grand bleu. « Les dauphins jugent l’amour que tu leur portes. S’il est sincère, s’il est pur, et si tu leur plais, alors ils t’em- meneront».
C’est peut-être cela le secret de la chance. Persévérer et ouvrir son coeur.
 24 LES VOILES D’ANTIBES 2023 - LE JOUR DU DAUPHIN

















































































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